petite (grande) colère en passant

Publié le par Flore et Emilie

Je reviens tout juste d'une des séances du séminaire franco-tchèque que je suis, séminaire historique en langue française, à destination des Tchèques et des Erasmus français. Habituellement, ce séminaire m'intéresse énormément, et nous avons très souvent pour  conférenciers des personnes très brillantes dans leur travail d'historien. Aujourd'hui, pourtant, je ne peux sortir que scandalisée de la salle 211.

En effet, nous avons eu une parfaite démonstration de ce que peut être le complexe de supériorité français. Avec un titre comme "la francophilie dans l'identité nationale tchèque 1848-1914", on pouvait s'en douter, mais on pouvait aussi attendre de l'historien une distance et un regard critique, deux qualités sensées représenter l'ambition principale de l'historien, justement.
Or, quand on me parle de la francophilie des Tchèques à cette période comme étant  "naturelle", "nécessaire", et "totalement consensuelle", je tique. Oui, les Tchèques parlaient probablement français, surtout dans les hautes sphères, oui, il y avait des liens importants entre les deux pays, oui, on lisait du  français et bla bla bla... Mais en aucun cas, un historien ne peut se permettre de parler de tels phénomènes comme étant "naturels", et surtout, de les présenter comme le résultat des formidables apport et soutien que la France avait la grâce d'offrir aux Tchèques de Bohême, pauvres opprimés qui ne pouvaient voir leur salut national que dans le modèle français.

D'autre part, le discours du conférencier était truffé d'allusions hautement pédantes, suffisantes et presque paternalistes vis-à-vis des Tchèques, qui du fait de l'absence totale de prise de distance critique par ailleurs, prenaient presque une allure contemporaine. "A l'époque [vers 1914], tel pourcentage de Tchèques parlaient le français : ça fait rêver, hein?". "Le soutien français apparaissait comme nécessaire à ce moment-là, alors que bien évidemment ce n'était pas possible pour les Tchèques de penser que leur soutien pouvait être nécessaire" et bien d'autres dont je ne me souviens plus précisément.
Si c'est révéler une vérité historique que d'exposer les influences de la culture française en Bohême, rien à dire, mais c'est la façon de le faire qui est insupportable, c'est prétention de dire que c'était comme ça et puis c'est tout, en supposant que c'était bien normal puisque la France était supérieure culturellement à la Bohême. Et surtout, la façon qu'il a eue de parler de tout cela au présent, comme s'il l'avait vécu, comme si ça allait de soi, est bien loin de la méthode d'un historien, et surtout, implique tout un tas de questionnements contemporains. On en venait même à se demander s'il ne considérait pas les relations franco-tchèques actuelles sous le même angle: qu'elles ne relèvent que de la francophilie et des apports des Français (que nous, étudiants Erasmus, sommes sensés représenter) aux Tchèques.

L'analyse linguistique et sémantique de sa conférence révèle aussi un radicalisme peu commun chez les historiens, et qui ne peut que surprendre: abondance de "jamais", "toujours", "évidemment", "naturellement" (je déteste la connotation déterministe de ce mot), "par essence", "par principe"...

J'avais honte vis-à-vis des Tchèques qui écoutaient ce discours.

Je n'ai pas pu m'empêcher de poser une question concernant cet aspect consensuel et naturel de la fancophilie, qui semblait si évident, demandant si ce consensus pouvait vraiment être appliqué aux masses, pour voir si ce conférencier aurait des arguments détaillés à m'opposer. déception: tout ce qu'il a répondu, c'est "oh, le Tchèque se revendiquait francophile, il ya des tas  de témoignages à ce sujet" et à la question desquels : "j'en ai plein dans ma tête", et à la question des exemples :"oh, des témoignages, Apollinaire, par exemple, quand il s'est retrouvé à Prague, a pu s'exprimer en français dans la rue et être compris de tous".

Bon et je ne parlerai pas de son évocation de la francophilie tchèque à l'heure actuelle, trop déprimant.


J'ai vraiment été déçue par la pauvreté de son argumentation du point de vue de la méthode historique, par son implication trop personnelle ou émotive dans le discours (qu'est-ce que c'est "émouvant", cet amour des Tchèques pour la France), par le primitivisme de cette pensée (ah, la grandeur de la France...), et surtout, par l'image que renvoyait ce discours du réel état des relations franco-tchèques aujourd'hui: une sensation de supériorité française toujours présente, une langue qui doit être défendue ici pour sa signification culturelle et non pour sa fonction de communication.

Je ne conçois pas mon expérience Erasmus comme une exposition universelle, visant à montrer à la République Tchèque comme c'est bien d'aimer la France...


Ah oui, la cerise sur le gâteau: n'allez surtout pas en Hongrie, on n'aime pas les Français là-bas, à cause du traité du Trianon de 1919 (ou 1920), c'est ce que semblait nous dire ce monsieur, fortement appuyé par une étudiante qui ajouta : "oui, la semaine dernière j'étais à Budapest, et un vieux monsieur, en nous entendant parler français, nous a dit qu'il ne fallait pas parler français et qu'il fallait se souvenir du Trianon". et le conférencier de renchérir : "oui, au moins, ici, on ne vous rappelle pas Munich à tout bout d'champ". Quelle généralisation...
Ah, c'est mieux quand même de vivre à Prague, parce que les gens nous aiment, ici, au moins. Ouf.

Publié dans Pragiquement vôtre

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B
Tout à fait révoltant : ce n'est pas parce qu'on a le meilleur pays du monde qu'il ne faut pas rester humble.
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C
ça c'est une colère émilienne, bravo ma puce!!! Tu as raison, cette suffisance est insupportable (et hélas tellement fréquente). mais attention on est sur le net....
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F
<br /> oui, c'est pour cela que je ne cite aucun nom...<br /> <br /> <br />
M
Et que dire des polonais qui vénèrent Napoléon... Non, vraiment, je comprends pas pourquoi les gens ne se prosternent pas sur mon passage. :)
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